Introduction : cinétose
Plus connu sous le nom de « Mal des transports », la cinétose ou motion sickness (MS) est une réponse physiologique à un déplacement ou une combinaison de mouvements réels ou virtuels[1] et correspond à un ensemble de symptômes comprenant traditionnellement des signes végétatifs tels que des nausées accompagnées parfois par des gastralgies, des vomissements, de la pâleur, de la diaphorèse ou d’autres symptômes relatifs comme l’apparition de vertiges ou des céphalées[2]. La cinétose est induite par des profils de mouvements particuliers, tels que des accélérations ou des décélérations angulaires et linéaires répétitives, mais peut également être consécutive à des informations proprioceptives, visuelles, ou vestibulaires erronées. Le mal des transports peut se ressentir sur terre, dans les airs, ou sur les mers.
Étiologie
La cause première à l’apparition de la cinétose est la stimulation excessive de l’appareil vestibulaire au cours des déplacements du corps. Tout mouvement, quel que soit le moyen de transport, peut entraîner une stimulation excessive. Les canaux semi-circulaires détecteront les déplacements angulaires, tandis que les organes otolithiques décèleront les mouvements linéaires.
Cette stimulation excessive est relatée par différents composants du système nerveux central tels que les noyaux du tronc cérébral, l’hypothalamus, le nodulus et la luette du cervelet, mais également les voies émétiques[3].
La physiopathologie exacte reste à ce jour mal définie, toutefois, il existe plusieurs théories sur les différents déclencheurs de la MS. La conception la plus courante du mécanisme de survenue du mal des transports repose sur le conflit sensoriel.
Dans la littérature, deux catégories de conflits sensoriels sont recensées répertoriant chacun trois types de conflits.
La première catégorie (A) contient les conflits entre les informations des systèmes vestibulaires et visuels. Le premier type de cette catégorie (A1) correspond à une perception du mouvement par les deux systèmes, mais ce ressenti est décousu et contradictoire entre ces deux derniers. A titre d’exemple, il s’agirait de regarder passivement les vagues (mouvement horizontal) tout en étant sur le pont d’un bateau (mouvement vertical perçu). Le second type (A2) se réfère à une expression du mouvement par le système visuel mais une immobilité perçue par le système vestibulaire. C’est notamment ce qui est vécu par les sujets qui observent des environnements mobiles par l’intermédiaire d’une réalité virtuelle tout en restant physiquement immobile. Ce type porte, entre autres, le nom de « pseudocinétose » ou « pseudosickness ». Le troisième type (A3) quant à lui concerne une stimulation effective du système vestibulaire tandis que le système visuel est inexpressif. Être assis à l’arrière d’une voiture sans regarder la route est la parfaite modélisation de cette troisième forme.
La seconde catégorie (B) de conflits sensoriels concerne une incongruence des informations afférentes provenant des cinq repères de l’appareil vestibulaire que sont les trois canaux semi-circulaires et les deux organes otolithiques. Le premier type (B1) relatif à cette catégorie concerne le phénomène de l’accélération de Coriolis dans lequel un sujet est soumis à une rotation angulaire ajoutée à une accélération angulaire comme une flexion/extension de tête, donnant la sensation au sujet de tourner dans un plan différent. L’exemple type est celui du sujet assis sur une chaise de bureau et que l’on soumet à une rotation dans un plan horizontal de l’assise, et pendant que la chaise tourne le sujet réalise des mouvements de tête dans des plans autres que le plan horizontal. Ce type de déclenchement s’observe chez les pilotes de voltige. Cet effet provoque une incongruence entre les canaux semi-circulaires et les organes otolithiques. Le second type (B2) survient lorsque les canaux semi-circulaires sont stimulés tandis que ce n’est pas le cas des organes otolithiques. Cela arrive notamment en situation d’apesanteur ou en conditions micro-gravitaires, demeurant néanmoins un déclencheur rare sur Terre. Le troisième type (B3) à l’inverse est celui dans lequel seuls les organes otolithiques sont stimulés. Un des exemples se provoque en laboratoire : le sujet est soumis à une rotation angulaire à vitesse constante sans motion d’accélération (donc sans stimulation des canaux semi-circulaires). Ainsi, les organes otolithiques sont en permanence stimulés par le vecteur gravitaire (on nomme ce déclencheur « barbecue rotation »).
Différents Types de Conflit | Catégorie A Conflit VES↔VIS | Catégorie B Conflit CSC↔OO |
Type 1 Perception contradictoire entre les deux systèmes | A1 : VIS ≠ VES Regarder le mouvement horizontal des vagues depuis le pont d’un bateau subissant des déplacements verticaux | B1 : SC ≠ OO Phénomène de l’accélération de Coriolis (observable chez les pilotes de voltige…) |
Type 2 Le signal du premier élément est surexprimé par rapport au second | A2 : VIS > VES Observer le déplacement d’un objet ou d’un véhicule tout en restant immobile. (Expérimentable au cinéma…) | B2 : SC > OO Visualisable en situation d’apesanteur, en conditions micro-gravitaires (assimilable au mal de l’espace…) |
Type 3 Le signal du second élément est surexprimé par rapport au premier | A3 : VIS < VES La lecture d’un livre en voiture sans référence externe visuelle sur la route | B3 : SC < OO Cas de la « rotation barbecue » reproduisible en situation de laboratoire |
VES = système vestibulaire ; VIS = système visuel ; CSC = canaux semi-circulaires ; OO = organes otolithiques
Tableau I : Les 6 types de conflits sensoriels théorisés selon Koch 2018 [3]
Il subsiste, en deçà du conflit sensoriel, d’autres hypothèses pour expliquer l’apparition de cinétose :
Il existe une hypothèse selon laquelle une asymétrie entre les organes otolithiques droites et gauches favoriserait l’apparition de cinétose notamment le mal de l’espace. En effet, plusieurs hypothèses portent sur l’idée qu’il existe une asymétrie physiologique chez l’ensemble des animaux (êtres humains compris) des réflexes oculo-otolitiques. Cependant, la littérature considère que cette hypothèse ne peut pas être le principal facteur à l’apparition de cinétose et donc jouer un rôle prédominant dans son déclenchement.
Les mouvements de translation à basse fréquence[4] semblent être une source majeure de l’apparition de la MS notamment dans les véhicules à moteurs, bateaux, avions. Des expérimentations ont démontré que les symptômes neuro-végétatifs augmentent avec le temps d’exposition et l’intensité de l’accélération subie, et ce pour des mouvements de basses fréquences autour de 0.2 Hz. Ces basses fréquences sont perçues notamment dans les transports en navires, véhicules à moteurs, avions, ou plus atypique en montant à chameau ou éléphant, chacun de ces exemples est susceptible de provoquer une MS. Cela explique également pourquoi la MS ne survient pas dans d’autres moyens de locomotion tels que la course à pied, la marche, le VTT, le cheval, qui disposent de fréquence de mouvement autour de 1 Hz. Ces derniers moyens de locomotion ne sont donc pas des catalyseurs de symptômes neuro-végétatifs. Cette corrélation entre apparition de symptômes neuro-végétatifs et mouvements de basses fréquences soulève elle-même des hypothèses : elle correspondrait soit à une erreur de signal de mouvement entre les canaux semi-circulaires, les organes otolithiques et le système somato-sensoriel, soit à une phase erronée entre la verticale ressentie et la verticale subjective attendue, soit ce seuil de 0,2 Hz serait déclencheur de MS par ambiguïté perceptive dès lors que les fréquences hautes imposent une accélération usuellement interprétée comme des visualisations de soi-même dans l’espace alors que les basses fréquences de mouvement imposent une accélération usuellement interprétée comme un vecteur de déplacement principal. Ainsi, il serait toléré de dire que cette limite de 0.2 Hz marquerait un cross-over entre ces 2 interprétations, et par conséquent, une zone de fréquence d’incertitude maximale pour établir une correcte référence pour l’orientation spatiale.
Ces théories ne sont à l’heure actuelle pas invalidées et peuvent s’accumuler les unes avec les autres[5].
Épidémiologie
La cinétose dépend de la susceptibilité individuelle, variant considérablement d’un individu à un autre. Cependant, cette dernière est plus fréquente chez la femme et chez l’enfant âgé de 2 à 12 ans[6]. L’ethnicité semble également avoir un impact sur la sensibilité au mal des transports : les populations asiatiques sont plus à même de développer une cinétose que les Caucasiens[7].
De nombreux facteurs ont été relevés comme favorisant le risque de développer une cinétose voire d’en augmenter la sévérité des symptômes :
- Dyspnées (fumées, vapeurs, respiration …)
- Migraines
- Vestibulopathies (labyrinthite, Ménière …)
- Facteurs émotionnels (anxiété, peur…)
- Facteurs hormonaux (grossesse, contraceptifs, …), toutefois aucune influence des cycles menstruels n’a pu être démontrée à ce jour.
- Facteurs génétiques[8]
- L’apesanteur (notamment lors des voyages spatiaux chez les astronautes)
Symptomatologie
Les premiers signes et symptômes de la cinétose sont la nausée et le vomissement.
Lors d’une cinétose naissante, sont également ressentis les premiers symptômes de perte de la vigilance que l’on appelle le « sopite syndrome[9] ». Le « sopite syndrome » décrit un état d’extrême fatigue persistante du corps avec une augmentation de l’apathie et de la léthargie au point que l’individu affecté peut même ne pas s’apercevoir de ces troubles. Le marqueur comportemental principal du « sopite syndrome » est le bâillement qui traduit donc l’épuisement et la somnolence.
Le « sopite syndrome » peut persister des heures, des jours, voire d’avantage en fonction du temps d’exposition à l’événement déclencheur. Il peut être également caractérisé par un profond ennui du sujet, une perte d’initiative, de l’irritabilité, voire un changement de personnalité. Le « sopite syndrome » est l’unique syndrome capable de persister bien que la nausée ne soit plus effective ou soit nettement diminuée. Cette attitude somnolente est donc un indicateur clef de la survenue de la cinétose.
Par ailleurs, un manque de sommeil avant exposition à l’événement déclencheur est un facteur de risque à l’apparition de cinétose.
Au-delà des troubles nauséeux, du vomissement, et du « sopite syndrome », on recense d’autres symptômes : gastralgies, diaphorèse, pâleur (faciale notamment), hypersialorrhée, chaleurs corporelles, vertiges, céphalées, anorexie, hyperosmie, changements de comportement (irritabilité, dépression, …).
Kinésithérapie
En kinésithérapie nous disposons de plusieurs outils thérapeutiques afin de réduire les cinétoses :
- Équilibration vestibulaire
- Habituation
- Compensation
- Récupération d’un déficit
- …
Sources : Intérêt de l’habituation pour réduire le dérangement du Mal des simulateurs objectivé par le score SSQ et ses dérivés chez les utilisateurs de simulateurs : une revue systématique – 07/06/23. Doi : 10.1016/j.kine.2023.05.002
Célian Long Rodriguez, Sergio Pimenta Afonso
[1]L. L. Zhang, J. Q. Wang, R. R. Qi, L. L. Pan, M. Li, and Y. L. Cai, “Motion Sickness: Current Knowledge and Recent Advance,” CNS Neurosci Ther, vol. 22, no. 1, pp. 15–24, Jan. 2016, doi: 10.1111/CNS.12468.
[2]A. Koch, I. Cascorbi, M. Westhofen, M. Dafotakis, S. Klapa, and J. P. Kuhtz-Buschbeck, “The Neurophysiology and Treatment of Motion Sickness,” Dtsch Arztebl Int, vol. 115, no. 41, pp. 687–696, Oct. 2018, doi: 10.3238/ARZTEBL.2018.0687.
[3] F. H. Previc, “Intravestibular Balance and Motion Sickness,” Aerosp Med Hum Perform, vol. 89, no. 2, pp. 130–140, Feb. 2018, doi: 10.3357/AMHP.4946.2018.
[4] J. R. Lackner, “Motion sickness: more than nausea and vomiting,” Exp Brain Res, vol. 232, no. 8, pp. 2493–2510, 2014, doi: 10.1007/S00221-014-4008-8.
[5] J. F. Golding, “Motion sickness,” Handb Clin Neurol, vol. 137, pp. 371–390, 2016, doi: 10.1016/B978-0-444-63437-5.00027-3.
[6] J. F. Golding, “Motion sickness,” Handb Clin Neurol, vol. 137, pp. 371–390, 2016, doi: 10.1016/B978-0-444-63437-5.00027-3.
[7] F. Schmäl, “Neuronal mechanisms and the treatment of motion sickness,” Pharmacology, vol. 91, no. 3–4, pp. 229–241, 2013, doi: 10.1159/000350185.
[8] B. S. Hromatka, J. Y. Tung, A. K. Kiefer, C. B. Do, D. A. Hinds, and N. Eriksson, “Genetic variants associated with motion sickness point to roles for inner ear development, neurological processes and glucose homeostasis,” Hum Mol Genet, vol. 24, no. 9, pp. 2700–2708, May 2015, doi: 10.1093/HMG/DDV028.
[9]P. Matsangas and M. E. McCauley, “Sopite syndrome: A revised definition,” Aviat Space Environ Med, vol. 85, no. 6, pp. 672–673, 2014, doi: 10.3357/ASEM.3891.2014.