14 juin 2024

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La théorie d’action contrainte : les instructions verbales au service de l’optimisation motrice (suite)

Par Afonso Pimenta Sergio

14 juin 2024

focalisation externe, focalisation interne, kinésithérapie, Rééducation

L’effet de la focalisation externe de l’attention sur les habiletés motrices fut expliqué par « l’hypothèse d’action contrainte » [2] qui rappelons-le explique que le focus externe induit un mode de contrôle plus automatique par le biais de processus de contrôle inconscient, rapide et réflexif, là où, le focus interne induit un contrôle conscient qui contraint le système moteur en interférant avec les processus de contrôle automatique [9].

Les instructions focalisées sur l’effet du mouvement (focus externe) pourraient améliorer les valeurs cinématiques liées à l’amplitude du mouvement. Les preuves issues des études expérimentales suggèrent qu’une focalisation interne de l’attention induirait un « gel » des degrés de liberté articulaire là où un focus externe semblerait « libérer » ces degrés articulaires [9]. D’autre part, ce foyer d’attention externe semble également avoir un effet sur l’augmentation de la « variabilité fonctionnelle ». Cela refléterait des corrections de compensations aboutissant à une diminution de la « variabilité du résultat du mouvement » [9]. Cette augmentation de la variabilité fonctionnelle induite par le focus externe serait essentiellement observée chez les individus qualifiés vis-à-vis d’une habileté motrice particulière [9].

Il a été démontré que la concentration externe de la condition attentionnelle induirait une diminution des demandes d’attention [2] [9]. Dans l’étude de Wulf et al [2], les participants ayant reçu un focus externe de l’attention lors d’une tâche d’équilibre auraient montré un temps de réaction plus faible que les participants ayant reçu un focus interne. Ces résultats expérimentaux corroborent avec « l’hypothèse d’action contrainte ». Cette preuve a également été appuyée par d’autres études qui ont démontré l’influence minimale d’une tâche cognitive secondaire à une tâche motrice lorsque les participants ont reçu un focus attentionnel externe [10]. En d’autres termes, la concentration externe de l’attention induirait une réduction du coût cognitif de la double tâche par rapport à une focalisation interne de l’attention [9].

La fluidité et la régularité seraient également améliorées par les conditions induisant une focalisation externe de l’attention [9]. Dans leur étude, Wulf et al [2], ont démontré que le focus attentionnel externe induit des ajustements d’amplitude plus fréquents et plus petits lors d’une tâche motrice par rapport au focus attentionnel interne. Des fréquences plus élevées seraient ainsi considérées comme l’indicateur d’un mode de contrôle plus automatique et réflexif [9][2].

L’effet des différentes conditions de la concentration attentionnelle sur la tâche d’équilibre a été étudié et les résultats démontreraient que la focalisation externe améliore cette tâche [9]. Dans l’étude de Wulf et al [2] dont les résultats apportent des preuves à ce constat, le groupe ayant reçu des instructions induisant un focus externe aurait produit des erreurs d’équilibre plus petites que le groupe avec un focus interne.

La précision d’un mouvement moteur s’avérait être améliorée par la condition d’attention qui favorise un focus externe [9]. Cette condition fut notamment objectivée dans le milieu sportif où des études ont apporté des preuves convergentes selon lesquelles le focus externe aurait amélioré la précision de compétences motrices dans diverses activités sportives telles que le golf, les lancers francs de basket-ball, le sprint, le tennis ou encore le coup de pied au foot [1].

D’après l’étude de la littérature, un schéma de mouvement serait considéré comme : « plus efficace ou économique si le même résultat de mouvement est obtenu avec moins d’énergie dépensée » [9]. Divers paramètres ont donc été évalués pour objectiver l’effet de la focalisation attentionnelle sur l’efficacité d’un mouvement moteur.

Une concentration attentionnelle orientée sur l’effet du mouvement (focus externe) semblerait induire une diminution de la synergie des muscles agonistes et antagonistes (co-contraction) [5] [9]. D’après l’étude de Lohse et al [11], un focus externe conduirait à une amélioration du recrutement des unités motrices par un phénomène de co-contraction réduit.

Figure 2 : Activité électromyographique isométrique en condition de focus externe et interne [11]

Des études ont démontré que le foyer de focalisation externe permettrait de produire une plus grande force maximale [9]. Dans l’étude datant de 2009 de Marchant et al [12], l’analyse de la contraction isocinétique en condition de focalisation externe de l’attention a révélé une : « production de force significativement plus élevée et une activité musculaire plus faible […] par rapport à une mise au point interne ». Cette augmentation de la production de la force maximale serait en lien avec l’utilisation d’une moindre activité musculaire [12] lors des conditions de focus externe, évoquée dans la section sus-jacente. Cela démontrerait un recrutement et une coordination plus efficace des muscles impliqués dans le mouvement moteur [12].

À l’inverse, une condition de focus interne produirait une plus grande activation musculaire inefficace qui limiterait la production de force [12]. Dans leur étude, Marchant et al, parlent de la notion de « bruit dans le système moteur » qui fût abordée dans des recherches antérieures et qui signifierait que l’augmentation de l’activité musculaire observée en condition de focus interne ne serait pas transférable à la production de mouvement moteur [12].

Une focalisation externe de l’attention favoriserait une amélioration de la vitesse et de l’endurance du mouvement moteur [9].

Dans l’étude de Ille et al [13], les résultats apportent des preuves sur l’effet du focus externe vis-à-vis de la vitesse d’exécution du mouvement. Les auteurs de cette étude mettent en avant que la condition attentionnelle externe conduirait à une vitesse d’exécution et à un temps de réaction plus court du mouvement moteur par rapport à la condition de focus interne.

Les résultats de l’étude de 2011 de Marchant et al [14], relatifs à l’influence des instructions de la focalisation attentionnelle sur l’endurance musculaire (nombre de répétition) révèlent que le focus externe affecterait de manière significative l’endurance musculaire lors d’un mouvement moteur. 

Dans le contexte d’évaluation de l’influence des instructions de la focalisation attentionnelle sur différents paramètres de l’efficacité d’un mouvement moteur, des recherches furent également  menées sur des paramètres physiologiques vitaux tels que la consommation d’oxygène et la fréquence cardiaque [9].

Dans l’étude de Schücker et al [15], les auteurs cherchaient à déterminer si la consommation d’oxygène pouvait être influencée par le centre d’attention lors d’une tâche motrice en endurance chez les coureurs expérimentés. Les résultats de cette étude fournissent des preuves en faveur d’une réduction de la consommation d’oxygène lors d’une condition motrice réalisée avec une orientation attentionnelle externe.

Dans l’étude de Neumann et al [16], les résultats suggèrent que l’adoption d’un foyer d’attention externe induirait une réduction de la fréquence cardiaque et de l’activité électromyographique malgré une plus grande amplitude de mouvement par rapport au focus interne.

D’après l’étude de la littérature, un nombre croissant de preuves convergentes existeraient en faveur de l’augmentation de la coordination induite par un foyer de focalisation externe de l’attention [9]. Il semblerait que la condition attentionnelle induite par un foyer externe puisse améliorer la forme du mouvement moteur chez les individus novices comme expérimentés [9]. Une focalisation externe aurait une influence positive sur l’effet du mouvement moteur en améliorant tous les « aspects de la performance motrice, et ce, indépendamment du niveau de compétence, de la tâche, de l’âge de la capacité » de l’individu ou d’autres différences individuelles [9].

Au travers de l’étude de la littérature actuellement disponible sur l’effet de la concentration attentionnelle, les recherches ont démontré qu’une focalisation orientée sur l’effet du mouvement (focalisation/focus externe) améliorerait à la fois l’apprentissage moteur et les performances motrices par rapport à une focalisation interne homologue [17]. D’autre part, les résultats actuels semblent avoir une implication pour l’ensemble des contextes qui impliquent respectivement l’apprentissage moteur et la performance motrice [17]. D’après la revue de Gabriel Wulf [17] : « l’ampleur de cet effet se reflète dans sa généralisabilité à différentes compétences, niveaux d’expertises et populations, ainsi que dans son impact à la fois sur l’efficacité et l’efficience de la performance ». L’applicabilité de ce concept théorique dans le milieu clinique semble de toute évidence avoir un effet positif sur la prise en charge des patients dans un contexte de rééducation neuromotrice fonctionnelle à visée curative ou préventive. Des changements subtils dans la construction et la formulation de nos instructions en faveur d’un focus externe de l’attention pourraient avoir des effets significativement différents et induire des mouvements plus automatiques, fluides, flexibles et moins coûteux cognitivement.

Si ce concept présent dans la littérature scientifique semble encore trop peu connu et peu utilisé par les thérapeutes dans leur pratique professionnelle quotidienne, la littérature apporte des preuves convergentes en faveur de l’usage du principe de focalisation externe. À cette occasion, il semble intéressant de préciser la facilité dont fait état l’applicabilité clinique de ce concept dans la mesure où il ne requiert aucun besoin spécifique hormis le changement d’habitude du thérapeute.

D’un point de vue personnel, nous pensons que l’usage du focus externe réside dans la capacité et la motivation du thérapeute à accepter la gymnastique mentale dans la formulation des instructions verbales. En effet, il s’agit d’un outil thérapeutique qui ne requiert aucun besoin d’ordre financier ou temporel ni aucune formation spécifique. Le seul besoin est un besoin de changement dans les habitudes du thérapeute. De surcroît, nous pensons que donner du sens à un outil thérapeutique facilite à la fois son intégration, sa mise en place, ses effets et l’adhésion du patient.

https://rehab4neuro.com/focus-attentionnelle-externe-les-instructions-verbales-au-service-de-loptimisation-motrice/

Un grand Merci à Léa Sebastia, kinésithérapeute, pour son excellente revue de littérature sur la focalisation externe et pour la rédaction de cet article spécialement pour Rehab4neuro


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[15]      Schücker L, Hagemann N, Strauss B, VÖlker K. The effect of attentional focus on running economy. J Sports Sci 2009;27:1241–8. https://doi.org/10.1080/02640410903150467.

[16]      Neumann DL, Brown J. The effect of attentional focus strategy on physiological and motor performance during a sit-up exercise. J Psychophysiol 2013;27:7–15. https://doi.org/10.1027/0269-8803/a000081.

[17]      Wulf G. Attentional focus and motor learning review.pdf. Int Rev Sport Exerc Psychol 2013;6:77–104.

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