27 octobre 2024

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Recommandations GRACE-3 pour la gestion des vertiges aigus aux urgences

Par Afonso Pimenta Sergio

27 octobre 2024

atteintes centrales, Diagnostic, drapeaux rouges, kinésithérapie, Réeducation

Titre de l’article analysé : Guidelines for reasonable and appropriate care in the emergency department 3 (GRACE-3): Acute dizziness and vertigo in the emergency department

Edlow JA, Carpenter C, Akhter M, Khoujah D, Marcolini E, Meurer WJ, Morrill D, Naples JG, Ohle R, Omron R, Sharif S, Siket M, Upadhye S, E Silva LOJ, Sundberg E, Tartt K, Vanni S, Newman-Toker DE, Bellolio F. Guidelines for reasonable and appropriate care in the emergency department 3 (GRACE-3): Acute dizziness and vertigo in the emergency department. Acad Emerg Med. 2023 May;30(5):442-486. doi: 10.1111/acem.14728. PMID: 37166022.

Les recommandations GRACE-3, publiées par la Society for Academic Emergency Medicine (SAEM) en 2023, fournissent une approche fondée sur les preuves pour évaluer et traiter les patients souffrant de vertiges aigus aux urgences. Construites selon la méthode GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development, and Evaluation), elles mettent l’accent sur des examens physiques en bord de lit et limitent l’usage de l’imagerie aux cas nécessaires.

Introduction

Le vertige est une des plaintes les plus fréquentes aux urgences, représentant entre 2,1 % et 3,6 % des admissions annuelles aux États-Unis, avec un coût estimé à 10 milliards de dollars [1]. La prise en charge est complexe, en raison de la diversité des étiologies, allant des causes bénignes, comme le vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB), aux pathologies graves, telles que les accidents vasculaires cérébraux (AVC). En particulier, les examens par tomodensitométrie (CT) sont souvent utilisés mais se révèlent peu sensibles pour les AVC ischémiques dans la région de la fosse postérieure, ce qui remet en question leur pertinence pour cette population de patients.

Les recommandations GRACE-3 proposent des pratiques cliniques améliorées, qui s’appuient sur des examens physiques et un recours raisonné aux examens d’imagerie.

Méthodologie

Composition du groupe et développement des recommandations

Le groupe de travail GRACE-3 a réuni des urgentistes, des otoneurologues et des représentants de patients provenant de différentes régions, avec une diversité géographique et professionnelle pour garantir la pertinence des recommandations dans divers contextes cliniques. En suivant la méthode GRADE, les recommandations ont été évaluées en tenant compte des bénéfices, des risques, et des préférences des patients.

Critères de sélection et structuration des recommandations

Les recommandations GRACE-3 sont organisées autour de cinq axes diagnostiques et thérapeutiques principaux :

  • le syndrome vestibulaire aigu (AVS),
  • le syndrome vestibulaire épisodique spontané (s-EVS),
  • le syndrome vestibulaire épisodique déclenché (t-EVS),
  • les options thérapeutiques pour la névrite vestibulaire,
  • le traitement du vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB).

Résultats et recommandations

Les recommandations GRACE-3 contiennent 15 propositions pour optimiser le diagnostic et le traitement des vertiges aigus, en rationalisant l’utilisation des ressources et en centrant l’approche sur l’examen clinique. Voici une analyse de chaque recommandation accompagnée de justifications et de références bibliographiques.

1. Formation des cliniciens aux techniques d’examen oculomoteur

  • Recommandation : Former les cliniciens aux techniques d’examen oculomoteur (tests HINTS) et aux manœuvres de repositionnement pour traiter le VPPB.
  • Justification : Le test HINTS (Head Impulse, Nystagmus, Test of Skew) a montré une grande précision pour distinguer les AVC des causes périphériques de vertige [2]. L’absence de formation spécifique sur ces tests conduit cependant à des erreurs d’interprétation [3].

2. Utilisation du Test HINTS pour le diagnostic de l’AVS

  • Recommandation : Utiliser le test HINTS pour distinguer les causes périphériques des AVC chez les patients présentant un AVS avec nystagmus [4].
  • Justification : Le test HINTS est plus sensible que la CT pour détecter les AVC de la fosse postérieure, notamment en cas de vertige aigu, et il réduit la nécessité d’imagerie supplémentaire en présence d’un clinicien formé [5].

3. Test auditif pour exclure l’AVC

  • Recommandation : Utiliser le test auditif de frottement des doigts pour évaluer une perte auditive unilatérale en complément du HINTS.
  • Justification : La perte auditive unilatérale peut être un signe d’atteinte centrale. Une évaluation rapide de l’audition aide à détecter un AVC lorsqu’il y a un doute clinique [6].

4. Évaluation de la stabilité de la marche en absence de nystagmus

  • Recommandation : Évaluer la stabilité de la marche pour différencier les causes centrales et périphériques en absence de nystagmus.
  • Justification : La sévérité de l’instabilité de la marche constitue un critère de différenciation fiable entre un AVC et une névrite vestibulaire lorsque d’autres signes ne sont pas présents [7].

Figure 1 : Algorithme décisionnel

5. Contre-Indication de la Tomodensitométrie (CT) pour le vertige aigu

  • Recommandation : Ne pas utiliser de manière systématique la CT pour les patients avec AVS, sauf en présence de symptômes neurologiques spécifiques.
  • Justification : La faible sensibilité de la CT pour détecter les AVC dans la fosse postérieure limite sa pertinence en contexte de vertige aigu [8].

6. Utilisation réservée de l’IRM

  • Recommandation : Utiliser l’IRM en cas de résultats ambigus au test HINTS ou si le clinicien n’est pas formé pour l’effectuer.
  • Justification : L’IRM est plus précise que la CT pour détecter les AVC ischémiques postérieurs mais coûteuse, elle doit donc être réservée aux cas où l’examen clinique laisse un doute [9].

7. Examen complet pour le s-EVS

  • Recommandation : Pratiquer un examen clinique complet (évaluation des nerfs crâniens, mouvements oculaires, etc.) pour distinguer les AIT des causes bénignes de s-EVS.
  • Justification : Un examen clinique détaillé permet d’identifier les signes neurologiques non vestibulaires pour un diagnostic différentiel précis, essentiel dans les cas de s-EVS [10].

8. Non-utilisation de la CT pour le s-EVS

  • Recommandation : Ne pas utiliser la CT pour diagnostiquer les causes bénignes chez les patients présentant un s-EVS à faible risque.
  • Justification : Des recherches montrent que la CT n’est pas efficace pour détecter des causes bénignes et entraîne des coûts supplémentaires et une exposition inutile aux rayons [11].

9. Utilisation de l’angiographie en cas de suspicion d’AIT

  • Recommandation : Utiliser l’angiographie par CT ou IRM pour exclure une pathologie ischémique en cas de suspicion d’AIT.
  • Justification : L’angiographie est cruciale pour détecter les anomalies vasculaires postérieures et prévenir les récidives d’AIT [12].

10. Test de Dix-Hallpike pour le t-EVS

  • Recommandation : Effectuer le test de Dix-Hallpike pour diagnostiquer le VPPB chez les patients atteints de t-EVS.
  • Justification : Ce test reproduit les symptômes caractéristiques du VPPB sans nécessiter d’imagerie, permettant ainsi un diagnostic rapide [13].

Figure 2 : manœuvre de Dix-Hallpike

11. Non-utilisation de l’IRM pour le t-EVS sans symptômes atypiques

  • Recommandation : Éviter l’IRM pour le t-EVS sauf en présence de symptômes atypiques.
  • Justification : L’IRM n’apporte pas de valeur ajoutée pour les cas de t-EVS typiques, contribuant à réduire les coûts de prise en charge [14].

12. Traitement par corticostéroïdes pour la névrite vestibulaire

  • Recommandation : Utiliser des corticostéroïdes pour traiter la névrite vestibulaire dans les trois jours suivant les symptômes.
  • Justification : Les corticostéroïdes réduisent l’inflammation et améliorent les symptômes de la névrite vestibulaire, ce qui a été validé par des essais cliniques randomisés [15].

13. Manœuvre d’Epley pour le VPPB

  • Recommandation : Réaliser la manœuvre d’Epley pour traiter le VPPB diagnostiqué.
  • Justification : Cette manœuvre, reconnue pour sa simplicité et son efficacité, permet de soulager les symptômes du VPPB sans recours médicamenteux [16].

Discussion

Les directives GRACE-3 apportent un cadre structuré et fondé sur des données probantes pour la gestion des vertiges aigus, en mettant l’accent sur des examens cliniques spécifiques et une imagerie rationnelle. L’efficacité des tests cliniques comme HINTS et des manœuvres de repositionnement pour le VPPB a été soulignée dans les recherches récentes, indiquant que ces outils permettent de réduire le recours à des examens d’imagerie coûteux et souvent non nécessaires. Toutefois, l’application de ces tests dépend fortement de la formation et de la compétence des cliniciens. Le panel GRACE-3 insiste ainsi sur la nécessité de programmes de formation qui garantissent une acquisition durable de ces compétences cliniques​.

En termes de coûts, l’approche proposée par GRACE-3, qui préconise une utilisation réduite de la CT et de l’IRM, pourrait significativement diminuer les coûts des soins d’urgence pour les vertiges aigus. En dépit de la précision limitée des IRM pour les AVC de la fosse postérieure, elles restent un recours important lorsque les résultats des tests cliniques sont ambigus ou indisponibles, soulignant ainsi la nécessité d’équilibrer prudence clinique et gestion des ressources​.

Les recommandations GRACE-3 placent les patients et leurs besoins au centre de la démarche diagnostique, en promouvant l’utilisation de tests non invasifs, de traitements sans médication et de techniques de repositionnement vestibulaire efficaces. Cette approche pourrait réduire les erreurs diagnostiques et améliorer les soins des patients souffrant de vertige aigu dans les services d’urgence.

Figure 3 : Approche diagnostic en cas de vertiges aigus

Article en lien

[1] Edlow, J.A., et al. GRACE-3 Guidelines for the Management of Acute Dizziness and Vertigo in the Emergency Department, Academic Emergency Medicine, 2023.

[2] Kattah, J.C., Talkad, A.V., Wang, D.Z., et al. « HINTS to diagnose stroke in the acute vestibular syndrome: three-step bedside oculomotor examination more sensitive than early MRI diffusion-weighted imaging. » Stroke, 2009;40(11):3504-3510.

[3] Kerber, K.A., et al. « The HINTS examination: differentiating stroke from acute vestibular syndrome. » JAMA Neurology, 2015;72(10):1228-1234.

[4] Chen, L., Lee, W., Chambers, B.R., Dewey, H.M. « Diagnostic accuracy of HINTS in identifying stroke in patients with acute vestibular syndrome: a systematic review and meta-analysis. » European Journal of Neurology, 2020;27(12):2204-2210.

[5] Newman-Toker, D.E., Kerber, K.A., Hsieh, Y.H., et al. « HINTS outperforms MRI in patients with acute vestibular syndrome: a prospective multicenter study. » Neurology, 2013;80(1):25-34.

[6] Saber Tehrani, A.S., et al. « Unilateral hearing loss in acute vestibular syndrome is highly predictive of stroke as a cause of dizziness. » Neurology, 2014;83(5): 800-806.

[7] Kerber, K.A., Baloh, R.W. « Evaluation of dizziness and vertigo. » Neurologic Clinics, 2005;23(3): 699-716.

[8] Kerber, K.A., et al. « The safety and cost of CT use in acute dizziness presentations to the emergency department. » Neurology, 2013;80(12):940-947.

[9] Mantokoudis, G., et al. « Magnetic resonance imaging has limited sensitivity for identifying stroke in acute vestibular syndrome: a diagnostic accuracy study. » Stroke, 2015;46(2):341-345.

[10] Bisdorff, A., Von Brevern, M., Lempert, T., Newman-Toker, D.E. « Classification of vestibular symptoms: Towards an international classification of vestibular disorders. » Journal of Vestibular Research, 2009;19(1-2):1-13.

[11] Kerber, K.A., Meurer, W.J., West, B.T., Fendrick, A.M. « Dizziness presentations in U.S. emergency departments, 1995-2004. » Academic Emergency Medicine, 2008;15(8):744-750.

[12] Edlow, J.A., et al. « The diagnosis of stroke in acute dizziness and vertigo: Implications for use of CT angiography. » Journal of Stroke and Cerebrovascular Diseases, 2022;31(2):543-550.

[13] Bhattacharyya, N., Baugh, R.F., Orvidas, L., et al. « Clinical practice guideline: benign paroxysmal positional vertigo. » Otolaryngology–Head and Neck Surgery, 2008;139(5 Suppl 4).

[14] Kerber, K.A., et al. « MRI sensitivity for central lesions in patients with dizziness. » Stroke, 2009;40(3):653-656.

[15] Strupp, M., Zingler, V.C., Arbusow, V., et al. « Methylprednisolone, valacyclovir, or the combination for vestibular neuritis. » New England Journal of Medicine, 2004;351(4):354-361.

[16] Hilton, M., Pinder, D.K. « The Epley (canalith repositioning) maneuver for benign paroxysmal positional vertigo. » Cochrane Database of Systematic Reviews, 2014; (8)

Afonso Pimenta Sergio

A propos de l'auteur

Kinésithérapeute spécialisé en neurologie.
Enseignant en formation initiale (Aix-Marseille Université, École des Sciences de la Rééducation).
DE d'imagerie médicale (2010)
DIU vestibulaire, analyse et rééducation des troubles de l'équilibre (2022)

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