Titre de l’article analysé : The Scratch-Collapse Test: A Systematic Review and Statistical Analysis.
Jain NS, Zukotynski B, Barr ML, Cortez A, Benhaim P. The Scratch-Collapse Test: A Systematic Review and Statistical Analysis. Hand (N Y). 2023 May 24:15589447231174483. doi: 10.1177/15589447231174483. Epub ahead of print. PMID: 37222286.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37222286/
Introduction et contexte
En tant que kinésithérapeute, nous sommes fréquemment confronté à des patients souffrant de douleurs et de dysfonctionnements liés à des neuropathies compressives [1], telles que le syndrome du canal carpien, le syndrome du tunnel cubital ou encore la compression du nerf fibulaire. Diagnostiquer ces affections avec précision est essentiel pour élaborer un plan de traitement efficace.
Dans ce contexte, le Scratch-Collapse test ou le test de grattage-effondrement (TGE) pourrait devenir un outil précieux dans notre arsenal de techniques d’évaluation. Pourtant, ce test, bien que prometteur, est encore entouré de controverses. Cet article a pour but de nous fournir une vue d’ensemble approfondie sur le TGE et de nous aider à déterminer comment et quand l’intégrer dans notre pratique clinique.
Qu’est-ce que le Scratch-Collapse Test ou TGE ?
Le scratch-collapse test est un test clinique conçu pour aider à diagnostiquer les neuropathies compressives, c’est-à-dire des conditions où un nerf est comprimé, provoquant douleur, faiblesse, ou engourdissement. Ce test a été introduit en 2008 par Cheng et ces collègues et se distingue par sa simplicité apparente et son mécanisme neurologique unique.
Comment fonctionne le Scratch-Collapse Test ?
Le TGE repose sur un phénomène neurologique appelé la période silencieuse. Lorsqu’une zone de la peau située au-dessus d’un nerf comprimé est stimulée par un léger grattement, cette stimulation peut temporairement inhiber l’activité des muscles volontaires associés au nerf en question. Cette inhibition se manifeste par une faiblesse momentanée, que le praticien peut détecter lors de certains mouvements spécifiques.
Déroulement du test
Le TGE se déroule en plusieurs étapes :
- Positionnement initial du patient : Le patient est assis ou debout, avec les bras le long du corps ou les jambes légèrement écartées si le test est effectué pour une neuropathie du membre inférieur.
- Évaluation de la force de base : Le praticien demande au patient de réaliser un mouvement spécifique contre résistance. Pour le membre supérieur, il s’agit généralement d’une rotation latérale de l’épaule tandis que le praticien oppose une résistance. Ce mouvement est répété pour évaluer la force de base du patient.
- Grattement de la zone concernée : Le praticien gratte légèrement la peau au-dessus de la zone suspectée de compression nerveuse. Par exemple, pour un syndrome du canal carpien, il gratte la peau au niveau du poignet, au-dessus du nerf médian. Pour un syndrome du tunnel cubital, la zone de grattage se situe au niveau du coude, au-dessus du nerf ulnaire.
- Test de la faiblesse musculaire : Immédiatement après le grattement, le praticien refait le test de résistance, en demandant au patient de réaliser à nouveau le mouvement de rotation externe. Un affaiblissement soudain de la force, entraînant une « effondrement » de la résistance (c’est-à-dire que le patient ne peut plus opposer une résistance efficace), est interprété comme un résultat positif.
Mécanisme neurologique du TGE
Le mécanisme sous-jacent du TGE est basé sur la théorie selon laquelle le grattement de la peau dans une zone de compression nerveuse déclenche une réponse réflexe au niveau de la moelle épinière. Cette réponse provoque une brève inhibition des signaux nerveux moteurs volontaires, entraînant une faiblesse musculaire temporaire. Cette inhibition est censée être plus prononcée dans les zones où le nerf est déjà compromis par une compression.
Interprétation des résultats
- Résultat positif : Une faiblesse immédiate lors du test après le grattement est interprétée comme un signe de compression nerveuse au niveau du site testé. Cela peut orienter le diagnostic vers des conditions telles que le syndrome du canal carpien, le syndrome du tunnel cubital, ou d’autres neuropathies compressives.
- Résultat négatif : Si le patient ne présente pas de faiblesse après le grattement, cela suggère soit que le nerf n’est pas comprimé à cet endroit précis, soit que la compression est trop légère pour être détectée par ce test.
Figure 1. Le scratch-collapse test
Analyse des données scientifiques : Une sensibilité limitée mais une spécificité remarquable?
Une revue systématique récente a examiné l’efficacité du TGE en comparant ses résultats à ceux des examens électrodiagnostiques (EDX), considérés comme la référence en matière de diagnostic des neuropathies compressives. Les résultats sont à la fois prometteurs et mitigés :
- Sensibilité globale : 38 %
(Indique la capacité du test à identifier correctement les patients atteints de neuropathie compressive) - Spécificité globale : 94 %
(Indique la capacité du test à identifier correctement les patients qui ne sont pas atteints de neuropathie compressive) - Statistique kappa : 0,4
(Indique une concordance modérée entre le TGE et les résultats des examens électrodiagnostiques)
Ces résultats montrent que le TGE a une haute spécificité, ce qui en fait un bon test pour confirmer un diagnostic de neuropathie compressive lorsque le test est positif. Cependant, sa sensibilité relativement faible signifie qu’il ne détecte pas tous les cas de neuropathie, ce qui le rend moins fiable comme test de dépistage initial.
Le Rôle du TGE dans la pratique de la kinésithérapie
Pour les kinésithérapeutes, l’utilité du TGE réside dans sa capacité à renforcer la certitude diagnostique dans les cas où d’autres tests (comme les tests de Tinel ou de Phalen pour le syndrome du canal carpien) offrent des résultats ambigus. Voici quelques situations spécifiques où le TGE pourrait être particulièrement utile :
- Confirmation diagnostique : En cas de suspicion de neuropathie compressive, un TGE positif peut confirmer votre diagnostic avant de commencer un traitement ciblé. Par exemple, chez un patient présentant des symptômes compatibles avec un syndrome du tunnel cubital, un TGE positif pourrait appuyer la décision de concentrer les interventions thérapeutiques sur le décompression du nerf ulnaire.
- Évaluation de la sévérité de la compression : Il a été observé que le TGE a tendance à être plus sensible dans les cas de compressions nerveuses plus sévères. Ainsi, un TGE positif pourrait indiquer une neuropathie plus avancée, nécessitant une attention plus urgente ou une modification du plan de traitement.
- Utilisation comme test de second ligne : Compte tenu de sa faible sensibilité, il est préférable d’utiliser le TGE après des tests plus sensibles mais moins spécifiques. Si un test de Phalen ou de Tinel est positif mais que les résultats restent incertains, le TGE peut être utilisé pour confirmer le diagnostic.
Comparaison du TGE avec d’autres tests et conditions
La revue systématique mentionnée précédemment a révélé des différences intéressantes dans l’efficacité du TGE selon les types de neuropathies compressives :
- Syndrome du tunnel cubital : Le TGE a montré une sensibilité de 60,5 % et une spécificité de 97,8 %, ce qui en fait un test assez fiable pour confirmer cette condition.
- Syndrome du canal carpien [2] : Le TGE s’est révélé moins performant, avec une sensibilité de seulement 29,4 % et une spécificité de 90,4 %. Cela pourrait être dû à la complexité anatomique du poignet et à la variabilité des compressions nerveuses dans cette zone.
- Compression du nerf fibulaire : Ici, le TGE a montré des résultats particulièrement bons, avec une sensibilité de 76,9 % et une spécificité de 98,6 %, ce qui en fait un outil potentiellement très utile dans cette situation spécifique.
Les Limites du TGE et les précautions à prendre
Malgré ses avantages, le TGE présente certaines limites importantes dont vous devez être conscient [3] :
- Variabilité de la performance : La précision du TGE peut grandement dépendre de l’expérience du praticien. Les résultats peuvent varier selon la technique utilisée et l’habileté du thérapeute à identifier le site exact de la compression.
- Influence de la gravité de la neuropathie : Le TGE semble plus fiable dans les cas de neuropathies compressives sévères. Cela signifie qu’il pourrait passer à côté des cas plus légers, ce qui limite son utilité pour le dépistage précoce.
- Biais dans les études : La plupart des études ayant rapporté des résultats positifs sur le TGE ont été réalisées par le groupe ayant développé le test, ce qui pourrait introduire un biais systématique. D’autres études menées par des praticiens indépendants sont nécessaires pour confirmer ces résultats.
Conclusion : Intégrer le TGE dans notre pratique de kinésithérapie
En conclusion, le test de grattage-effondrement est un outil diagnostique qui, bien qu’encore controversé, peut être d’une grande utilité dans la pratique de la kinésithérapie, en particulier pour confirmer des suspicions de neuropathies compressives. Cependant, il doit être utilisé avec discernement et en complément d’autres tests diagnostiques, plutôt que comme méthode de dépistage principale.
En tant que kinésithérapeute, vous pourriez envisager d’intégrer le TGE dans vos évaluations, en particulier pour des conditions comme le syndrome du tunnel cubital ou la compression du nerf fibulaire. Toutefois, il est essentiel de rester conscient des limites du test et de continuer à vous appuyer sur une évaluation clinique complète pour guider vos décisions thérapeutiques.
En développant vos compétences dans l’utilisation du TGE, vous pouvez enrichir votre approche diagnostique et offrir à vos patients des soins encore plus personnalisés et efficaces.
[1] Boyd CJ, Singh NP, Robin JX, et al. Compression neuropathies of the upper extremity: a review. Surgeries. 2021;2(3):320-334.
[2] Montgomery K, Wolff G, Boyd KU. Evaluation of the scratch collapse test for carpal and cubital tunnel syndrome—a prospective, blinded study. J Hand Surg Am. 2020;45(6):512-517.
[3] Kahn LC, Yee A, Mackinnon SE. Important details in performing and interpreting the scratch collapse test. Plast Reconstr Surg. 2018;141(2):399-407..